Là-bas, dans la forêt, il y avait
un joli sapin. Il était bien placé, il avait du
soleil et de l'air...Autour de lui poussaient de
plus grands camarades, pins et sapins... Mais
lui était si impatient de grandir qu'il ne
remarquait ni le soleil ni l'air pur, pas même
les enfants de paysans qui passaient en
bavardant lorsqu'ils allaient cueillir des
fraises ou des framboises...
"Oh!
Si j'étais grand comme les autres, soupirait le
petit sapin, je pourrais étendre largement ma
verdure et de mon sommet, contempler le vaste
monde... Les oiseaux bâtiraient leur nid dans
mes branches et lorsqu'il y aurait du vent, je
pourrais me balancer avec grâce comme font ceux
qui m'entourent"...
Le soleil ne lui causait aucun
plaisir, ni les oiseaux, ni les nuages roses
qui, matin et soir, naviguaient dans le ciel
au-dessus de sa tête.
L'hiver, lorsque la neige
étincelante entourait son pied de sa blancheur,
il arrivait souvent qu'un lièvre bondissait,
sautait par-dessus le petit arbre...Oh! Que
c'était agaçant! Mais, deux hivers ayant passé,
quand vint le troisième, le petit arbre était
assez grand pour que le lièvre fût obligé de le
contourner. Oh! Pousser, Pousser, devenir grand
et vieux, c'était là, pensait-il, la seule joie
au monde...
En automne, les bûcherons
venaient et abattaient quelques-uns des plus
grands arbres... Cela arrivait chaque année et
le jeune sapin, qui avait atteint une bonne
taille, tremblait de crainte, car ces arbres
magnifiques tombaient à terre dans un fracas de
craquements...
Où allaient-ils? Quel
devait être leur sort?
Au printemps, lorsque arrivèrent
l'hirondelle et la cigogne, le sapin leur
demanda: "Savez-vous où on les a conduits? Les
avez-vous rencontrés?"
Les hirondelles n'en savaient
rien, mais la cigogne eut l'air de réfléchir,
hocha la tête et dit:
"Oui,
je crois le savoir, j'ai rencontré beaucoup de
navires tout neufs en m'envolant vers l'Egypte,
sur ces navires il y avait des maîtres-mâts
superbes, j'ose dire que c'étaient eux, ils
sentaient le sapin."
"Oh!
Si j'étais assez grand pour voler au-dessus de
la mer! Comment est-ce au juste la mer? A quoi
cela ressemble-t-il?"
!Euh!
C'est difficile à expliquer, répondit la
cigogne...Et elle partit..
"Réjouis-toi
de ta jeunesse, dirent les rayons du soleil,
réjouis-toi de ta fraîcheur, de la jeune vie qui
est en toi"...
Le vent baisa le jeune arbre, la
rosée versa sur lui des larmes, mais il ne les
comprit pas...
Quand vint l'époque de Noël, de
tout jeunes arbres furent abattus, n'ayant
souvent même pas la taille, ni l'âge de notre
sapin, lequel, sans trêve ni repos, désirait
toujours partir. Ces jeunes arbres étaient
toujours les plus beaux, ils conservaient leurs
branches, ceux-là, et on les couchait sur les
charrettes que les chevaux tiraient hors de la
forêt...
"Où
vont-ils? demanda le sapin, ils ne sont pas plus
grands que moi, il y en avait même un beaucoup
plus petit... Pourquoi leur a-t-on laissé leur
verdure?"
"Nous
le savons, nous le savons, gazouillèrent les
moineaux. En bas, dans la ville, nous avons
regardé à travers les vitres, nous savons où la
voiture les conduit... Oh! ils arrivent au plus
grand scintillement, au plus grand honneur que
l'on puisse imaginer... A travers les vitres,
nous les avons vus, plantés au milieu du salon
chauffé et garnis de ravissants objets, pommes
dorées, gâteaux de miel, jouets et des centaines
de lumières...
"Suis-je
destiné à atteindre aussi cette fonction? dit le
sapin tout enthousiasmé... C'est encore bien
mieux que de voler au-dessus de la mer... Je me
languis ici, que n'est-ce déjà Noël! Je suis
aussi grand et développé que ceux qui ont été
emmenés l'année dernière... Je voudrais être
déjà sur la charrette et puis dans le salon
chauffé, au milieu de ce faste... Et ensuite...
Il arrive sûrement quelque chose d'encore mieux,
de plus beau, sinon pourquoi nous décorer
ainsi... Cela doit être quelque chose de
grandiose et de merveilleux! Mais quoi? Oh! Je
m'ennuie... Je languis ici...
"Sois
heureux d'être avec nous, dirent l'air et la
lumière du soleil... Réjouis-toi de ta fraîche
et libre jeunesse"...
Mais le sapin n'arrivait pas à se
réjouir... Il grandissait et grandissait...
Hiver comme été, il était vert, d'un beau vert
foncé et les gens qui le voyaient s'écriaient:
"Quel bel arbre!"
Avant Noël il fut abattu, le tout
premier... La hache trancha d'un coup, dans sa
moelle; il tomba, poussant un grand soupir, il
sentit une douleur profonde...Il défaillait et
souffrait... L'arbre ne revint à lui qu'au
moment d'être déposé dans la cour avec les
autres.... Il entendit alors un homme dire:
"Celui-ci
est superbe, nous le choisissons".
Alors vinrent deux domestiques en
grande tenue qui apportèrent le sapin dans un
beau salon... Des portraits ornaient les murs et
près du grand poêle de céramique vernie il y
avait des vases chinois avec des lions sur leurs
couvercles... Plus loin étaient placés des
fauteuils à bascule, des canapés de soie, de
grandes tables couvertes de livres d'images et
de jouets pour un argent fou du moins à ce que
disaient les enfants...
Le sapin fut dressé dans un petit
tonneau rempli de sable, mais on ne pouvait pas
voir que c'était un tonneau parce qu'il était
enveloppé d'une étoffe verte et posé sur un
grand tapis à fleurs! Oh! Notre arbre était bien
ému! Qu'allait-il se passer de plus?
Les domestiques et des jeunes
filles commencèrent à le garnir... Ils
suspendaient aux branches de petits filets
découpés dans des papiers glacés de couleur,
dans chaque filet on mettait quelques fondants,
des pommes et des noix dorées pendaient aux
branches comme si elles y avaient poussé, et
plus de cent petites bougies rouges, bleues et
blanches étaient fixées sur les branches... Des
poupées qui semblaient vivantes... L'arbre n'en
avait jamais vu...Elles planaient dans la
verdure et tout en haut, au sommet, on mit une
étoile clinquante de dorure...
C'était splendide,
incomparablement magnifique...
"Ce
soir, disaient-ils tous, ce soir ce sera
beau"...
"Oh
! pensa le sapin, que je voudrais être ici ce
soir quand les bougies seront allumées! Que se
passera-t-il alors? Les arbres de la forêt
viendront-ils m'admirer? Les moineaux me
regarderont-ils à travers les vitres? Vais-je e
rester ici, ainsi décoré, l'hiver et l'été? "
On alluma les lumières... Quel
éclat! Quelle beauté! Un frémissement parcourut
ses branches de sorte qu'une des bougies y mit
le feu et il y eut une sérieuse flambée...
"Mon
Dieu! crièrent les demoiselles en se dépêchant
d'éteindre...
Le pauvre arbre n'osait même plus
trembler... Quelle torture! Il avait si peur de
perdre quelqu'une de ses belles parures, il
était complètement étourdi dans toute sa
gloire... Alors, la porte s'ouvrit à deux
battants, des enfants en foule se précipitèrent
comme s'ils allaient renverser le sapin, les
grandes personnes les suivaient posément... Les
enfants s'arrêtaient un instant seulement, puis
ils se mettaient à pousser des cris de joie...
Quel tapage! Ils dansaient autour de
l'arbre... Ensuite, on commença à cueillir les
cadeaux l'un après l'autre...
"Qu'est-ce
qu'ils font? se demandait le sapin... Qu'est-ce
qui va se passer maintenant?"
Les bougies brûlèrent jusqu'aux
branches, on les éteignait à mesure, puis les
enfants eurent la permission de dépouiller
l'arbre complètement... Ils se jetèrent sur lui,
si fort, que tous les rameaux en craquaient,
s'il n'avait été bien attaché au plafond par le
ruban qui fixait aussi l'étoile, il aurait été
renversé...
Les petits tournoyaient dans le
salon avec leurs jouets dans les bras, personne
ne faisait plus attention à notre sapin, si ce
n'est la vieille bonne d'enfants qui jetait
de-ci de-là un coup d'oil entre les branches
pour voir si on n'avait pas oublié une figue ou
une pomme...
"Une Histoire! une Histoire!
criaient les enfants" en entraînant vers l'arbre
un gros petit homme ventru.
Il s'assit juste sous l'arbre...
"Comme
ça, nous sommes dans la verdure et le sapin aura
aussi intérêt à nous écouter, mais je ne
raconterai qu'une histoire... Voulez-vous celle
d'Ivède-Avède ou celle de Dumpe-le-Ballot qui
roula en bas des escaliers, mais arriva tout de
même à s'asseoir sur un trône et à épouser la
princesse?
L'homme racontait l'histoire de
Dumpe-le-Ballot qui tomba du haut des escaliers,
gagna tout de même le trône et épousa la
princesse... Les enfants battaient des mains...
Ils voulaient aussi entendre l'histoire d'Ivède-Avède,
mais ils n'en eurent qu'une... Le sapin se
tenait coi et écoutait...
"Oui,
oui, voilà comment vont les choses dans le
monde", pensait-il... Il croyait que l'histoire
était vraie, parce que l'homme qui la racontait
était élégant...
Oui, oui, sait-on jamais!
Peut-être tomberai-je aussi du haut des
escaliers et épouserai-je une princesse!
Il se réjouissait en songeant que
le lendemain il serait de nouveau orné de
lumières et de jouets, d'or et de fruits... Il
resta immobile et songeur toute la nuit
Au matin, un valet et une femme
de chambre entrèrent...
"Voilà
la fête qui recommence! pensa l'arbre"... Mais
ils le traînèrent hors de la pièce, en haut des
escaliers, au grenier... Et là, dans un coin
sombre, où le jour ne parvenait pas, ils
l'abandonnèrent...
"Qu'est-ce
que cela veut dire? Que vais-je faire ici?
Il s'appuya contre le mur,
réfléchissant... Et il eut le temps de beaucoup
réfléchir, car les jours et les nuits passaient
sans qu'il ne vînt personne là-haut et quand,
enfin, il vint quelqu'un, ce n'était que pour
déposer quelques grandes caisses dans le coin...
Elles cachaient l'arbre complètement...
L'avait-on donc tout à fait oublié?
"C'est
l'hiver dehors, maintenant, pensait-il... La
terre est dure et couverte de neige... On ne
pourrait même pas me planter ; c'est sans doute
pour cela que je dois rester à l'abri jusqu'au
printemps... Comme c'est raisonnable, les hommes
sont bons! Si seulement il ne faisait pas si
sombre et si ce n'était si solitaire! Pas le
moindre petit lièvre... C'était gai, là-bas,
dans la forêt, quand sur le tapis de neige le
lièvre passait en bondissant, oui, même quand il
sautait par-dessus moi; mais, dans ce temps-là,
je n'aimais pas ça... Quelle affreuse solitude,
ici!"
"Pip!
Pip!" fit une petite souris en
apparaissant au même instant, et une autre la
suivait... Elles flairèrent le sapin et
furetèrent dans ses branches...
Il fait terriblement froid, dit
la petite souris... Sans quoi on serait bien
ici, n'est-ce pas, vieux sapin?"
"Je
ne suis pas vieux du tout, répondit le sapin...
Il en y a beaucoup de bien plus vieux que
moi"...
"D'où
viens-tu donc? demanda la souris, et qu'est-ce
que tu as à raconter?"
Elles étaient terriblement
curieuses.
"Parle-nous
de l'endroit le plus exquis de la terre... Y
as-tu été? As-tu été dans le garde-manger?
"Je
ne connais pas ça, dit l'arbre, mais je connais
la forêt où brille le soleil, où l'oiseau
chante"...
Et il parla de son enfance... Les
petites souris n'avaient jamais rien entendu de
semblable... Elles écoutaient de toutes leurs
oreilles...
"Tu en as vu des choses!.. Comme
tu as été heureux!..
"Moi!
dit le sapin en songeant à ce que lui-même
racontait... Oui, au fond, c'était bien
agréable"...
Mais, ensuite, il parla du soir
de Noël où il avait été garni de gâteaux et de
lumières...
"Oh!
dirent encore les petites souris, comme tu as
été heureux, vieux sapin"...
"Mais
je ne suis pas vieux du tout, ce n'est que cet
hiver que j'ai quitté ma forêt; je suis dans mon
plus bel âge, on m'a seulement replanté dans un
tonneau...
"Comme
tu racontes bien, dirent les petites souris"...
La nuit suivante, elles amenèrent
quatre autres souris pour entendre ce que
l'arbre racontait et, à mesure que celui-ci
parlait, tout lui revenait plus exactement...
"C'était vraiment de bons
moments, pensait-il... Mais ils peuvent revenir,
ils peuvent revenir! Dumpe-le-Ballot est tombé
du haut des escaliers, mais il a tout de même eu
la princesse; peut-être en aurai-je une aussi.
..»
Il se souvenait d'un petit
bouleau qui poussait là-bas, dans la forêt, et
qui avait été pour lui une véritable petite
princesse...
"Qui
est Dumpe-le-Ballot? demandèrent les petites
souris"...
Alors le sapin raconta toute
l'histoire, il se souvenait de chaque mot; un
peu plus, les petites souris grimpaient jusqu'en
haut de l'arbre, de plaisir...
La nuit suivante, les souris étaient plus
nombreuses encore, et le dimanche il vint même
deux rats, mais ils déclarèrent que le conte
n'était pas amusant du tout, ce qui fit de la
peine aux petites souris; de ce fait,
elles-mêmes l'apprécièrent moins...
"Eh
bien, Merci, dirent les rats en rentrant chez
eux... Les souris finirent par s'en aller aussi,
et le sapin soupirait...
"C'était
un vrai plaisir d'avoir autour de moi ces
petites souris agiles, à écouter ce que je
racontais... C'est fini, ça aussi, mais
maintenant, je saurai goûter les plaisirs quand
on me ressortira... Mais quand?
Ce fut un matin, des gens
arrivèrent et remuèrent tout dans le grenier...
Ils déplacèrent les caisses, tirèrent l'arbre en
avant... Bien sûr, ils le jetèrent un peu
durement à terre, mais un valet le traîna vers
l'escalier où le jour éclairait...
"Voilà
la vie qui recommence", pensait l'arbre,
lorsqu'il sentit l'air frais, le premier rayon
de soleil et le voilà dans la cour...
Tout se passa si vite! La cour se
prolongeait par un jardin en fleurs... Les roses
pendaient fraîches et odorantes par-dessus la
petite barrière, les tilleuls étaient fleuris et
les hirondelles voletaient en chantant:
"Quivit,
quivit, mon homme est arrivé!" Mais ce n'était
pas du sapin qu'elles voulaient parler...
"Je
vais revivre", se disait-il, enchanté, étendant
largement ses branches... Hélas! Elles étaient
toutes fanées et jaunies... L'étoile de papier
doré était restée fixée à son sommet et brillait
au soleil... Dans la cour jouaient quelques
enfants joyeux qui, à Noël, avaient dansé autour
de l'arbre et s'en étaient réjouis... L'un des
plus petits s'élança et arracha l'étoile d'or...
"Regarde
ce qui était resté sur cet affreux arbre de
Noël", s'écria-t-il en piétinant les branches
qui craquaient sous ses souliers...
L'arbre regardait la splendeur
des fleurs et la fraîche verdure du jardin puis,
enfin, se regarda lui-même... Comme il eût
préféré être resté dans son coin sombre au
grenier! Il pensa à sa jeunesse dans la forêt, à
la joyeuse fête de Noël, aux petites souris, si
heureuses d'entendre l'histoire de Dumpe-le-
Ballot...
"Fini!
Tout est fini! Si seulement j'avais su être
heureux quand je le pouvais"...
Le valet débita l'arbre en petits
morceaux, il en fit tout un grand tas qui flamba
joyeusement sous la chaudière... De profonds
soupirs s'en échappaient, chaque soupir
éclatait... Les enfants qui jouaient au-dehors
entrèrent s'asseoir devant le feu et ils
criaient: Pif ! Paf ! à chaque craquement, le
sapin, lui, songeait à un jour d'été dans la
forêt ou à une nuit d'hiver quand les étoiles
étincellent... Il pensait au soir de Noël, à
Dumpe-le-Ballot, le seul conte qu'il eût jamais
entendu et qu'il avait su répéter et voilà qu'il
était consumé ...
Les garçons jouaient dans la
cour, le plus jeune portait sur la poitrine
l'étoile d'or qui avait orné l'arbre au soir le
plus heureux de sa vie... Ce soir était fini,
l'arbre était fini, et l'histoire, aussi, finie,
finie comme toutes les histoire...
Ce Conte semble triste, mes
enfants, mais c'est pour que vous
appréciez mieux la leçon...Il faut jouir de
chaque jour de votre Vie...Il faut toujours
trouver le Beau, le Bon et bien vivre le moment
présent car il ne se renouvellera pas...La vie
est pleine de beaux moments et c'est à vous de
bien les apprécier...Et, d'aimer votre vie à
chaque instants...
Conte de Noël
d'Andersen
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