*La
dévote*
Cathédrale d'Ypres - Marie-Claire
images http://clairimage.ns5-wistee.fr/
Il
est presque midi. C’est dimanche matin. De l’église elle sort, un
missel à la main. Toute de noir vêtue depuis bien des années, A
grands pas elle va, perdue dans ses pensées. -Le sermon du curé rendait
bien aujourd’hui. Et cet enfant de chœur, il était si petit
! L’autel était très beau, ce n’était qu’une fleur. J’ai porté
mon bouquet tout près du Sacré-Cœur.
Madame B portait une jolie
fourrure. Elle doit coûter cher. Et pourtant je suis sûre Qu’à la
quête j’ai vu sa petite menotte Déposer dans le tronc un bouton
de culotte. Nous n’étions pas beaucoup à la communion. Et
notre harmonium, il n’est vraiment pas bon. Ah !que j’ai de
regrets de l’office en latin. Cette messe en français ne signifie plus
rien. On lui a enlevé son faste, son mystère. Mais il en est ainsi,
nous devons nous y faire.
Je suis pleine de joie quand je vais à
confesse. J’aime le prie-Dieu sous mon genou qui s’abaisse, Le
chapelet glissant sur mon doigt engourdi. Mais là-bas le clocher sonne
déjà midi. Elle presse le pas. Silhouette qui penche, Elle s’en va
quérir le gâteau du dimanche.
Elle tient à présent, à plat dans sa
main droite Le baba savoureux, reposant dans la boîte Habillée de
papier monté en pyramide. Chez elle la voilà, dans la maison trop
vide. Ne mettra qu’un couvert. Personne ne viendra Partager en ami
le modeste repas. Elle n’en souffre pas. Elle le veut ainsi. Son
cœur est au repos, sans heurts et sans souci.
Reprenant le tricot
et l’écheveau de laine, Elle se voit déjà la semaine prochaine Les
cierges allumés, la nef illuminée, La senteur de l’encens, l’odorante
fumée, Les gens qu’elle salue, bien qu’elle ne les aime, C’est le
bien-être vrai, c’est le bonheur extrême, Et dans un grand élan, du
plus profond du cœur, Elle bénit son sort, remercie le
Seigneur.
Il est presque midi. C’est dimanche
matin. De l’église elle sort, un missel à la main. Toute de noir
vêtue, silhouette qui penche, Elle s’en va quérir le gâteau du
dimanche.
"La vieille femme" de Gheorghe
Giurgiu
http://www.deniplant.ro/
Renée Jeanne Mignard
*Le
bébé*
"Maternité" huile sur toile de
Raphaël
http://arteraphaelmari.galeon.com/
Ce matin, bébé a
souri. C’était sa première risette. Pour un couple tout
attendri, Aujourd’hui sera jour de fête
Contemplant le cher
petit ange Qui leur a offert ce cadeau, Ils vivent un moment
étrange, Les yeux rivés sur le berceau
Oh la merveilleuse
surprise, Bébé a dit son premier mot ! Areu, areu ! Minute
exquise, C’est bizarre, mais c’est si beau !
Un beau jour, bien
qu’ils s’y attendent, Bébé a fait ses premiers pas. Malhabiles, ses
mains se tendent Vers le refuge de leurs bras.
C’est le temps de
peluche douce, De gros nounours qu’on aime tant. On s’endort en
suçant son pouce, Le printemps succède au printemps.
C’est le
premier jour de l’école, La maternelle, évidemment. Implacable, le
temps s’envole, Bébé a trois ans maintenant.
C’est cruel de
quitter sa mère, C’est nouveau, bien sûr il a peur. Séparation bien
amère, Il a des sanglots plein le cœur.
Le soir, il n’y paraîtra
guère, Car le bambin tout réjoui Retrouvera son petit frère Qui a
fait risette pour lui.
"Rêve d'enfant" aquarelle de
Michelle-Gilles Roux
http://micgillesroux.free.fr/
Renée Jeanne Mignard
*Le
comédien*
"Masques" fusain d'Anita
http://lameretamour.centerblog.net/
Un théâtre à Paris. C’est
un soir de première. Un spectacle nouveau. Sera-t-il éphémère, Ou
bien son grand succès durera-t-il longtemps ? La salle se remplit, et
le public attend Le magique moment, l’instant où tout à
coup, Derrière le rideau résonnent les trois coups. Bavardant à
mi-voix, feuilletant le programme, On est venu vibrer, et applaudir le
drame.
Et pendant ce temps là, loin de tout, isolé, Tout
tremblant, mort de trac et comme écartelé, Le comédien connu, qui joue
le premier rôle, Sent un énorme poids lui alourdir l’épaule. Il
marche sans arrêt comme lion en cage, Et se met à douter du joli
personnage Qu’il doit interpréter devant le Tout-Paris. La sueur
perle à son front et la peur l’envahit.
Il ne pourra jamais
articuler un mot. Il rougit, il blêmit, il a froid dans le dos, Son
cœur cogne très fort, il n’a plus de salive, Et lorsque le moment tant
obsédant arrive, Ses jambes sont chiffons, le supportent à peine. La
sonnerie lui dit de rejoindre la scène. Le silence se fait, et la rampe
s’allume. Un tout dernier regard aux plis de son costume.
Un peu
de fond de teint sur son visage froid, Et pour mieux conjurer ce
persistant effroi, Retrouvant son maintien et sa soif de
conquête, Il gagne le plateau, portant bien haut la tête. Quelques
heures plus tard, à la fin de l’exploit, Alors que le rideau s’est
relevé vingt fois, Que le public debout lui a donné son cœur,
Il
sait qu’il a gagné, que c’est lui le meilleur. Ainsi il en sera de même
chaque soir. En se démaquillant devant le grand miroir Qui lui rend
peu à peu les traits de son visage, Il entrevoit l’après. Bien sûr il
envisage Qu’on joue guichets fermés, qu’on fête la centième Qu’il
tourne dans un film, et peut-être un deuxième. Son talent reconnu lui
vaudra le César. Il est parmi les grands au sommet de son
art.
Son succès mérité ne connaît pas de trêve. Alors il crie
soudain, pour prolonger le rêve, Caressant cet habit qu’il remettra
demain : Ah ! Le joli métier que d’être comédien !
"Arlequin assi" toile de Angelina
Lavernia
http://francois.batet.free.fr/
Renée Jeanne
Mignard
*Sonnet à la
belle*
"Fleurs sur nappe" huile sur toile de
Raphaël
http://arteraphaelmari.galeon.com
Sous le néon doré de
l'enseigne d'un bar, Une belle de nuit arpente le trottoir, Juchée
tant bien que mal sur ses talons aiguille, Un mignon bracelet enserrant
sa cheville.
Sa jupette de cuir découvrant ses genoux, Elle
arpente la rue sans se soucier de nous, Souriant aux passants comme
c'est la coutume, Elle fait les cent pas sur son coin de
bitume.
Ô femme, mon amie, qui proposes tes charmes, Savons-nous
à quel prix et de combien de larmes Tu paies nuit après nuit ton tribut
à l'amour?
Quand au petit matin tu rejoins ton foyer, Pour
reposer enfin jusqu'à la fin du jour, Ton lit frais aux draps blancs
n'a qu'un seul oreiller.
Renée Jeanne Mignard
Ma grand'mère...
*La
Jeanne*
"Je t'aime bonne-maman" toile de
Claudy
http://www.chezclaudy.com/
C'est elle qui veilla sur nos
jeunes années. En ce temps mes parents, absents maintes
journées, Travaillant tous les deux,et voyageant parfois, Confiaient
à ses soins mon frère Paul et moi. C'était notre grand-mère, Anne de
son prénom. Jeanne nous l'appelions, et sa grande maison, Dans le
cadre fleuri d'un faubourg de Nevers, Fut pendant bien longtemps notre
seul univers.
Notre grand-mère était l'ainée de sept
enfants. Elle dut travailler dès l'âge de huit ans, L'hiver comme
l'été, cinquante-deux semaines, Sans vacances, jamais, sans ménager ses
peines. La vie était vraiment très rude en ce temps là, A un point
qu'à présent on n'imagine pas, Et l'enfant qui plus tard deviendrait ma
grand-mère, A dû trouver souvent cette vie bien amère.
Elle
n'eut pas le droit d'apprendre le savoir, De s'asseoir sur son banc
devant le tableau noir. Mais son bon sens inné de paysanne
sage Compensait, croyez-moi, son manque de bagage, Et son instinct
aigu, sa grande clairvoyance, Témoignaient largement de son
intelligence.
Ce n'était pas vraiment une mémé gâteau. Elle
avait trop souffert, et le magique mot Qui savait apaiser, consoler ou
distraire Ne faisait pas partie de son vocabulaire. Mais elle était
toujours curieuse de nous, Et j'aimais m'endormir le soir sur ses
genoux, Le visage caché dans son grand tablier, Qui fleurait bon
l'odeur des pommes du cellier.
Puis le temps a passé. J'ai grandi,
fait ma vie. Mais de me voir souvent, elle éprouvait l'envie. Quand
un matin d'avril elle ferma les yeux, Qu'elle n'eut pas le temps de
dire son adieu, Ma peine fut immense, et je savais déjà Qu'une part
de moi-même était partie là-bas. Depuis, malgré le temps, les peines,
la rancoeur, Elle est à tout jamais vivante dans mon coeur.
Ma
grand-mère n'était qu'une humble paysanne. Elle était
merveilleuse. On l'appelait la Jeanne.
"Clamecy" aquarelle de Jean-Jacques
Costaz
http://inclinations.fr/
Renée Jeanne
Mignard
*Candide*
"Silhouettes lointaines" aquarelle d'Emile
Wouters
www.liensutiles.org/ewouters.htm
Candide, mon ami,
toi qui crois aux chimères, Laisse les gens blasés rire de ta
candeur. Fais fi de l’ironie, des paroles amères. Ils ne comprennent
pas ta trop grande pudeur.
Tu traverses la vie sans heurts, sans un
nuage, Libre comme jadis l’était le baladin. Tu as pour compagnons
le simplet du village, Les enfants, les oiseaux, les roses du
jardin.
Tu es plus innocent que l’agneau d’aujourd’hui. Tu
ignores l’envie, la haine, la rancœur. Posant sur ce qui vit ton regard
ébloui, Tu berces chastement des rêves dans ton cœur.
Tu
ne vois pas le mal que s’inflige le monde. Chaque journée qui
vient est un nouveau trésor. Tu n’entends pas les cris de la meute qui
gronde, Et c’est le front serein que le soir tu t’endors.
Rêveur
impénitent, riche de tes chimères, Tu quêtes l’absolu jusqu’à la
déraison. Tant pis pour les railleurs, les méchantes
commères. Candide, mon ami, c’est bien. Tu as raison.
"La sérénité de l'Indre"-
photographie de Renée Jeanne Mignard
Renée
Jeanne Mignard
*La
veuve*
"Désir" huile sur canevas de André
Julien
http://membres.lycos.fr/ddlepeintre/galeriedd/galeriep1.htm
Son mari l’a quittée, un matin
de printemps. Elle n’a pas pleuré ce jour là, mais pourtant, Il fut
son univers, la raison de ses jours, Son unique souci, ses uniques
amours. Au long de trente années, vécurent cœur à cœur, Pour le bon,
le mauvais, le pire, le meilleur, Remerciant le ciel à chaque aube
nouvelle, Qu’ils vivaient plus épris, et chacun plus fidèle. Quand
il s’est endormi ce jour là, dans ses bras, Elle n’a pas pleuré. Elle
savait déjà Que nul autre en son cœur ne le remplacerait, Que dans
son souvenir toujours elle vivrait.
Elle lui parle encor souvent,
dans la journée, Caresse doucement la veste abandonnée Qui garde
dans ses plis l’odeur de son tabac. Arrange le fauteuil comme s’il
était là, Cueille chaque main un frais bouquet nouveau Pour le grand
vase bleu posé sur le bureau. Lorsque le soir descend, que le jour
disparaît, Elle allume la lampe et ferme le volet, Puis ainsi
qu’elle fait depuis lors le dimanche, Installe deux couverts sur
une nappe blanche. Dans la chambre sans vie, quand le lit
d’autrefois Est devenu si grand qu’elle avait toujours
froid, Elle n’oublie jamais, avant de sommeiller, De mettre à ses
côtés un deuxième oreiller.
Elle a peu de photos, n’en sent pas le
besoin. Les traits de son visage, elle les voit si bien ! Les
parents, les amis qui lui rendent visite S’étonnent fréquemment de
l’étrange conduite, Et cherchent à savoir le pourquoi, le
comment. Elle ne répond pas, leur sourit gentiment, Et pense
qu’après tout, ce n’est pas leur affaire. Comment comprendraient-ils
qu’en vivant sa chimère, Niant la vérité, refusant de la voir, Elle
ait à tout jamais dit non au désespoir.
Son mari est parti, ce
matin de printemps. Le bonheur l’a quittée, depuis bien trop
longtemps.
"Café du soir" huile sur toile de
Raphaël http://arteraphaelmari.galeon.com
Renée Jeanne Mignard
*Méditation*
"La plage" acrylique de Pierre
Coutreau
http://www.coutreau.net/
Le vieil homme
seul marche sur la plage. Il fait beau. Le sable est chaud à ses
pieds. Sous le dais d’azur d’un ciel sans nuage, La mer doucement
berce ses voiliers.
Le vieil homme s’est assis sur le
sable. Perdu dans ses pensées, il a fermé les yeux. -J’ai vécu
longtemps, heureux de temps en temps. J’étais important, et
pourtant, Je ne connais pas le langage des fleurs, Ni la
couleur des galets roulés par la mer.
Je n’ai jamais suivi le vol
d’un oiseau dans le ciel clair. Jamais écouté le chant du
rossignol, Jamais entendu le bruit des sources. Je n’ai jamais
respiré l’odeur d’un sous-bois, Ni contemplé un coucher de
soleil, Rêvé au clair de lune, Dormi sous les étoiles.
Je
n’ai jamais décoré un sapin de Noël, Jamais embrassé quelqu’un sous
le gui, Jamais tenu la main d’un enfant. J’ai vécu sans voir,
sans partager, sans m’émouvoir. Et puis je suis devenu vieux, sans m’en
apercevoir. N’est-il pas trop tard ?
Ai-je encor le temps de
m’enthousiasmer ? Ai-je encor le temps d’aimer ? N’est-il pas trop
tard ? Puis-je encor espérer ?
Le vieil homme seul rêve sur la
plage De jours merveilleux tout ensoleillés. Et pendant ce temps,
accueillante et sage, La mer doucement, berce ses
voiliers.
"Les vacances" huile sur toile de André
Julien
http://membres.lycos.fr/ddlepeintre/galeriedd/galeriep1.htm
Renée Jeanne Mignard
"Deux amoureux" toile de
Claudy http://www.chezclaudy.com/
"Le temps venu" huile sur toile de André Julien
http://membres.lycos.fr/ddlepeintre/galeriedd/galeriep1.htm
"Juste un peu de lumière" Mireille
Dubois-Vanhove
http://www.mireille-dubois-vanhove.com/
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